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V-Disc : La musique des Libérateurs

V-Disc : La musique des Libérateurs

Les forces américaines ont aidé à libérer la Belgique à partir du 2 septembre 1944 et ont apporté leur musique avec elles sous la forme des 78 tours du label “V-Disc”. Après quatre années d’occupation nazie et l’interdiction de la musique américaine, les Belges ont adopté avec passion les airs de leurs libérateurs.

Le projet V-Disc — ou Victory Disc — a été lancé aux États-Unis en juillet 1943, dans le sillage d’une interdiction d’enregistrement imposée par la Fédération Américaine des Musiciens (AFM). En raison de désaccords sur le paiement des redevances, l’AFM avait organisé une grève interdisant aux musiciens du syndicat de réaliser des enregistrements commerciaux. En raison de l’interdiction, la Branche Morale du département de guerre des Etats-Unis n’était plus en mesure de fournir aux troupes les dernières musiques populaires. Le programme V-Disc a été créé pour procurer ces enregistrements à la mode aux forces armées.

Naissance du projet

L’idée du projet est venue du Lieutenant Robert Vincent, qui avait précédemment travaillé pour la section radio de la Branche Morale. Robert Vincent a négocié avec l’AFM ainsi qu’avec la Fédération Américaine des Artistes Radio (AMFR) et est parvenu à un accord. Les disques du label “V-Disc” devaient être utilisés exclusivement par le personnel militaire et ne pouvaient être vendus à des fins commerciales. En échange, l’AFM a accepté de renoncer à tous les paiements de droits d’auteur ainsi qu’aux frais pour les services des artistes. Cet accord permettait à l’armée de s’offrir le programme V-Disc, les fonds étant affectés intégralement à la production des disques. Vincent et son équipe ont ensuite pu produire la dernière musique pour les forces armées.

Parmi les disques distribués aux troupes pendant la libération de la Belgique se trouvaient des enregistrements d’artistes tels que Jimmy et Tommy Dorsey, Stan Keaton et Benny Goodman, ainsi que Glenn Miller, Artie Shaw et Cab Calloway. Le projet a eu un tel succès qu’il a continué après la levée de l’interdiction d’enregistrement imposée par l’AMF. Au fil du temps, plus de 8 millions de disques ont été produits et distribués aux troupes. Le Lieutenant Robert Vincent a ensuite été promu Major pour ses services rendus.

 

Glenn Miller et son orchestre jouent pour les forces US et Alliées en Angleterre, Jun-Dec 1944.   © Courtesy Air Force photo by Air University History Office

 

Les Belges et le Jazz

Les Belges avaient déjà adopté le jazz américain avant la guerre, mais pendant l’occupation, il a été officiellement interdit. La musique américaine était en effet perçue par les nazis comme une musique dégénérée et une menace pour la culture aryenne. Ils ne permettaient donc au jazz de persister en Belgique que sous des formes aseptisées. Avec l’arrivée des Alliés et la libération qui s’ensuivit, les Belges purent de nouveau profiter d’une abondance de jazz, non seulement par le biais des V-Discs mais aussi par le biais d’émissions de radio jazz qui étaient interdites lors de l’occupation.

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Dès les premiers jours de la libération, les Belges ont accueilli les libérateurs avec des concerts et des bals. Des maisons de disques spécialisées dans le jazz ont également vu le jour peu après la guerre. Victory, le label et la boîte de nuit du même nom, fondé par Jacques Kluger et Félix Faecq, en est l’exemple le plus connu. Des clubs de jazz ont rouvert ou ont vu le jour à la suite de la libération et certains ont même publié les premiers périodiques musicaux. Le Hot Club de Belgique, éminent club de jazz, a continué à fonctionner pendant toute la durée de l’occupation sous un autre nom : le Club Rythmique de Belgique. Après la libération, le club est revenu à son nom d’origine et en 1946 a commencé une publication mensuelle appelée Hot Club Magazine.

L’édition d’avril 1946 du magazine présente un exposé sur les V-Discs, détaillant l’histoire de la production et affirmant qu’il y avait des milliers de V-Discs en circulation en Belgique. L’article contient également une liste de V-Discs recommandés, avec entre autres les disques V-Discs 384a et 348b “All Star Jam Session” avec Louis Armstrong, Bobby Hackett, Herb Ellis et Trummy Young ; le 480b “Duke Ellington et son orchestre” ; le 308a “Fats Waller et sa section rythmique” et le 211b “Eddie Condon et son Town Hall Jazz Orchestra”.

 

Portrait de Louis Armstrong à l’Aquarium, New York, N.Y., ca. July 1946.  © William P. Gottlieb/Ira and Leonore S. Gershwin Fund Collection, Music Division, Library of Congress

A la suite de la libération

Malgré les accords entourant la production et la distribution des V-Discs, ils n’ont pas uniquement profité au personnel militaire. Beaucoup de soldats échangeaient leurs V-Discs contre de la nourriture ou de l’alcool dans les premiers mois de la libération, ce qui a amené certains civils à recevoir une visite de la police militaire américaine. Et partout où les militaires américains étaient stationnés, il y avait des disques laissés après leur départ…

Les petites annonces du magazine attestent de la popularité des V-Discs même après la guerre. Dans les éditions de 1946, les lecteurs postaient fréquemment des petites annonces pour acheter, vendre ou échanger les V-Discs, surtout les compilations “All Stars” ainsi que les titres de Billie Holiday, Jimmy Dorsey, Glenn Miller et King Cole. Même si les mentions des V-Discs disparaissent dans les années suivantes, les populations cherchaient toujours à acheter ou vendre des V-Discs de nombreuses années après la fin de la guerre.

En septembre 1944, après cinq ans d’occupation nazie, les Belges ont finalement pu goûter de nouveau à la liberté — et l’entendre aussi. Les V-Discs laissés par les troupes US ont servi de souvenirs de cette période de l’histoire belge, et les populations ont pu profiter de la musique encore pour de nombreuses années.

Article écrit par Mhairi Gador-Whyte, Australie

 

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Sources :
  • Dellicour, Xavier. Aspects du jazz à Liège dans l’après-guerre (1944-1949): mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de licencié en Histoire. Liège: Université de Liège: 2006-2007.
  • Fauser, Annegret. Sounds of War: Music in the United States During the War. New York: Oxford University Press, 2013.
  • Hot Club Magazine: Revue Internationale de Jazz – Organe officiel du Hot Club de Belgique. Bruxelles: Hot Club de Belgique, 1946-1948.
  • Jazz Hot. Paris: Hot Club de France, 1948-1951.
  • Schrijvers, Peter. Liberators: The Allies and Belgian Society 1944-1945. New York: Cambridge University Press, 2009.
  • Spragg, Dennis M. “V-Discs: Including the Richard Sherwood Sears Collection. Catalog.” Glenn Miller Archive, University of Colorado Boulder. Updated September 26, 2015. https://www.colorado.edu/amrc/glenn-miller-archives/gma-catalogs/v-discs-richard-sherwood-sears-collection.
  • Spragg, Dennis M. “V-Discs.” Glenn Miller Archive, University of Colorado Boulder. Updated September, 2013. https://www.colorado.edu/amrc/glenn-miller-archives/gma-catalogs/v-discs-richard-sherwood-sears-collection.
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