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L’Armée Fantôme

Sur les traces de l’Armée Fantôme des États-Unis

Similaire aux plans britanniques pour l’Opération Fortitude Sud, l’armée américaine a créé une unité spéciale de field deception (« tromperie sur le terrain »), connue sous le nom de 23e Headquarters Special Troops et ayant pour objectif de tromper l’armée allemande. Ils sont devenus connus en tant que « l’Armée Fantôme ». Créée à la fin de l’année 1943, l’armée américaine a rapidement commencé à recruter 1100 artistes, opérateurs radio et autres ingénieurs pour rejoindre le nouveau bataillon secret composé de trois unités spécialisées.

 

Les unités du bataillon secret

La première était une unité visuelle utilisant des « effets spéciaux » tels que de fausses pièces d’artillerie, de fausses jeeps, chars M4, avions L-5 et même de faux soldats (bien qu’ils n’aient jamais été utilisés), tous en caoutchouc gonflable pour créer un faux bataillon américain sur le terrain.

La deuxième unité était engagée dans le combat sonique, qui avait créé le premier enregistrement “mixtape” d’équipements en mouvement, de ponts, de chars et de personnel de l’armée pouvant être adaptés au terrain et ainsi imiter le bataillon. Ces enregistrements ont ensuite été diffusés sur des haut-parleurs de 200 kg pouvant être entendus jusqu’à 25 km.

La troisième et dernière unité était la Signal Company Special qui étudia les transmissions radio de l’armée, pour ensuite les reproduire et tromper les Allemands qui s’appuyaient souvent sur des communications radio pour obtenir des renseignements. Ces trois unités ont travaillé ensemble pour imiter un bataillon spécifique afin de tromper les Allemands sur la taille réelle et l’emplacement des forces alliées.

Figure 1 : Gonflable M-4 Sherman dans une zone boisée (Crédit : Ghost Army Legs Project – The George William Curtis Collection)

Des missions spéciales en Normandie

Une semaine après le débarquement du Jour_J en juin 1944, un peloton de 15 hommes de l’armée fantôme s’est déployé en Normandie sous les ordres du lieutenant Bernie Mason pour mettre en place les emplacements de la fausse artillerie avec le 980ème Bataillon d’artillerie.

Du juillet à août, l’armée fantôme a mené de nombreuses missions de leurre lors de la Bataille de Normandie en utilisant uniquement des aides visuelles et la radio. Ils ont plusieurs fois établi une base dans des villages récemment libérés, étant déguisés en bataillon spécifique et utilisant des « effets spéciaux » tels que de fausses insignes et des pochoirs pour véhicules. Ils ont même établi un faux siège de bataillon complet avec des faux généraux. Les hommes ont ensuite été encouragés à parler « librement » dans les bars et magasins pour diffuser de fausses informations sur leurs mouvements afin de confondre les éventuels espions restants.

 

Des chars gonflables à Paris

À la mi-août 1944, l’armée fantôme a été envoyée pour assister au siège de Brest, détournant les Allemands vers les flancs pour permettre aux forces alliées de prendre la ville. Ils se sont ensuite déployés dans l’est de la France pour combler un vide crucial dans la troisième armée de George Patton, au nord de Metz. Pendant plusieurs jours, plusieurs centaines de chars gonflables séparaient Paris des Allemands sur la ligne de front, jusqu’à ce que la 83e Division américaine viennent remplacer l’armée fantôme en important des vrais chars.

Figure 2 : La Bataille des Ardennes. Bastogne en ruines, 30 décembre 1944

Installation au Luxembourg

L’armée fantôme s’est installée au Luxembourg en septembre, base d’opérations pendant l’automne de 1944. Ils ont effectué plusieurs opérations importantes le long du front. En décembre, l’armée fantôme s’est rendue dans les Ardennes pour renforcer l’idée qu’il y avait plus de quatre divisions américaines défendant la région. Dans la nuit du 15 décembre, ils se sont retirés quelques heures avant que les Allemands lancent l’offensive qui allait devenir la « bataille du Saillant » ou la Bataille des Ardennes. De retour au Luxembourg, les hommes ont participé pour la première fois à l’action directe en guerre en défendant la ville contre les raids aériens allemands, avant de se retirer à Verdun afin d’éviter que le secret des techniques de tromperie de l’armée fantôme ne tombe potentiellement dans les mains des Allemands.

 

Au cours de l’hiver 1945, l’armée fantôme fut déployée en Belgique, en France, au Luxembourg et en Allemagne dans le cadre d’une série de missions le long des lignes de front. Tragiquement, le 12 mars 1945, alors qu’ils personnifiaient la 80e Division d’infanterie américaine lors de l’opération Bouzonville près de la Sarre, leur tactique s’avéra trop réelle pour les Allemands qui tirèrent dessus, provoquant deux morts et quinze blessés.

Découvrez le Luxembourg

Sites principaux dans les Ardennes et en Wallonie

Figure 3 : Faux dépôt d’approvisionnement de l’opération Viersen près d’Anrath, Allemagne (Source : Ghost Army Legacy Project)

Le succès de la dernière mission

La dernière mission de l’armée fantôme (Opération Viersen) était l’une des plus importantes de leurs opérations en temps de guerre. En mars 1945, alors que la Neuvième armée américaine (30e et 79e Divisions) se préparait à traverser le Rhin près de Wesel, l’armée fantôme devait convaincre les Allemands que cette traversée aurait lieu 15 kilomètres plus au sud entre Duisburg et Düsseldorf. Pour la plus complexe de leurs opérations de leurre, l’armée fantôme déploya centaines pneumatiques gonflables et véhicules réels autour des villes d’Anrath et de Dulken.

En savoir plus sur la traversée du Rhin : les opérations Plunder et Varsity

 

Ils transformèrent les forêts en aires de rassemblement de moteurs avec de faux dépôts de réparation. Ils construisirent plusieurs fausses pistes d’atterrissage avec de faux avions L-5. Lorsque la neuvième armée américaine se dirigeait vers le nord, elle coupa les opérations radio tandis que la Signal Company Special prenait le relais pour tromper les Allemands à l’écoute. Les camions sonores assemblés diffusèrent des enregistrements de soldats déplaçant des camions / équipements et assemblant les ponts de pontons nécessaires pour traverser le Rhin. Le 24 mars 1945, lorsque la neuvième armée américaine entama sa cruciale traversée du Rhin, elle rencontra une défensive allemande désorganisée. Il y eut très peu de pertes du côté américain, ce qui prouva le succès de la mission de leurre de l’armée fantôme.

Figure 4 : Les membres de l’Armée Fantôme au café en France (Source : The Morning News)

La déclassification de l’Armée Fantôme

Après la fin de la guerre, de nombreux membres de l’armée fantôme sont devenus des artistes célèbres, notamment le peintre minimaliste Ellsworth Kelly et le couturier Bill Blass. Le succès de l’armée fantôme est resté secret pendant de nombreuses années durant la guerre froide, de peur que de telles techniques soient nécessaires dans un futur conflit. C’est en 1996 que l’histoire de l’armée fantôme fut déclassifiée et que l’ingéniosité de ces 1100 hommes fut reconnue dans le monde entier.

En 2018, le premier panneau historique dédié à l’Armée Fantôme était installé près de la commune de Bettembourg en Luxembourg en commémoration de l’opération Bettembourg.

Cet article est écrit par Chance Matthew Williams, États-Unis

 

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Europe Remembers est une campagne de la Route de la Libération de l’Europe qui commémore et célèbre le 75ème anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale en 2019-2020.

 

Sources :

  • Beyer, Rick. “The Ghost Army.” PBS, Public Broadcasting Service, 9 Mar. 2015, www.pbs.org/program/ghost-army/.
  • Fox, Fred. The Official History of the 23rd Headquarters Special Troops. U.S. National Archives, 1945, Ghost Army Legacy Project, www.ghostarmylegacyproject.org/official-history.html#anchor000.
  • Garber, Megan. “Ghost Army: The Inflatable Tanks That Fooled Hitler.” The Atlantic, Atlantic Media Company, 23 May 2013, www.theatlantic.com/technology/archive/2013/05/ghost-army-the-inflatable-tanks-that-fooled-hitler/276137/.
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